Le coup de Jarnac des députés et du Conseil d’Etat contre les contribuables

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Les engagements de nos édiles envers les contribuables n’auront pas duré quatre ans puisqu’ils ont modifié la loi de perception des impôts des personnes physiques pour rendre les taux d’intérêt différenciés en faveur du contribuable et de l’Etat.

Le Conseil d’Etat en a profité pour rémunérer six fois moins les contribuables en avance de paiement, respectivement ponctionner six fois plus les contribuables en retard.

Depuis que l’Etat avait vu sa pratique de majoration de 3% des acomptes provisionnels déclarée illégale par les tribunaux, il a dû se résoudre à proposer une nouvelle loi de perception.

Après plusieurs propositions, compte tenu des critiques émises, le Grand Conseil a proposé en 2007 un nouveau projet de loi de perception des impôts des personnes physiques notamment (projet de loi PL10039), qui est devenu la nouvelle loi intitulée LPGIP et entrée en vigueur au 1er janvier 2009.

Dans l’exposé des motifs, il était rappelé que cette loi visait à introduire certaines innovations et à réaliser un certain nombre d’objectifs, notamment:

  • Le respect du principe de la légalité (enfin…);
  • L’équivalence entre certains droits ou obligations de l’Etat et du contribuable.

Ce second objectif, avoué comme étant l’un des moteurs de la nouvelle loi de perception, a donc été expressément décrit dans l’exposé des motifs en précisant: « cette équivalence (des droits et obligations de l’Etat et du contribuable) est réalisée au moyen des dispositions qui traitent 1) des intérêts rémunératoires et moratoires sur acompte…2) des intérêts compensatoires positifs et négatifs…3) des intérêts rémunératoires et moratoires sur le solde du décompte fiscal…4) du taux de l’intérêt applicable aux intérêts prévu par le projet de loi lequel, rappelons-le, est un taux unique.

Par ailleurs, l’exposé des motifs stipulait dans le cadre des innovations: « l’introduction d’un taux d’intérêt unique, valant pour tous les intérêts prévus dans le projet présent de loi, soit les intérêts rémunératoires, moratoires et compensatoires, positifs et négatifs ».

Mécanisme du taux unique

Le nouveau système de perception prévoyait un terme général d’échéance au 31 mars de l’année suivant l’année fiscale, alors que l’ancien système prévoyait l’échéance de l’impôt à la date du bordereau d’imposition.

Ce changement signifiait donc que le contribuable pouvait se voir réclamer des intérêts sur le montant des impôts qu’il devrait finalement payer, alors même qu’il n’avait pas encore été taxé.

Pour éviter cela, le contribuable pouvait (devait) procéder aux versements d’acomptes, ceux-ci pouvant être bien évidemment soit excédentaires soit insuffisants (au regard du futur bordereau d’impôt émis par l’Administration fiscale).

Du fait des nombreux calculs et incertitudes liés à ce mode de perception, il était évident que le taux d’intérêt pour les montants versés « en trop » par le contribuable et ceux « manquants » devait être le même.

Postulat d’ailleurs repris comme précédemment rappelé par l’exposé des motifs de la loi de perception (LPGIP).

A ce sujet, l’on ne pouvait qu’acquiescer à un objectif qui reconnaissait l’équivalence de certains droits et obligations de l’Etat et du contribuable en ce sens que l’on ne pourrait pas comprendre pour quelle raison, puisqu’il s’agit d’intérêt purement financier, que le contribuable qui avancerait de l’argent à l’Etat puisse être rémunéré de façon différente que l’Etat qui avancerait de l’argent au contribuable lorsque ce dernier n’avait pas acquitté pleinement son dû avant l’émission de son bordereau de taxation.

Modification de la loi et du règlement

Jusqu’au 1er janvier 2013 et depuis quatre ans, l’article 28 LPGIP de la loi invitait le Conseil d’Etat à fixer un taux d’intérêt pour calculer les intérêts compensatoires, rémunératoires et moratoires.

Il était, de par la loi, le même pour les intérêts perçus ou versés. C’est ainsi que pour l’année 2012, le Conseil d’Etat avait fixé ce taux d’intérêt à 2%.

Ainsi, les contribuables qui avançaient de l’argent à l’Etat se voyaient rémunérer à 2%, alors que ceux qui étaient en retard au terme général d’échéance dans le paiement de leur impôt devaient un intérêt de retard de 2%.

En fin d’année 2012, la FAO a publié le coup de Jarnac des députés, qui ont procédé à la modification de l’article 28 en abandonnant le taux d’intérêt identique pour un taux différencié en stipulant « un taux d’intérêt différent pour les intérêts en faveur du contribuable et les intérêts en faveur de l’Etat…L’écart entre les taux différenciés est au maximum de 2,5 points. »

Le Conseil d’Etat s’est immédiatement engouffré dans la brèche ouverte par le Grand Conseil et a promulgué un règlement entré en vigueur au 1er janvier 2013 fixant le taux des intérêts en faveur de l’Etat à 3% et en faveur du contribuable de 0,5%.

Ce faisant, il considère que la créance du contribuable envers l’Etat doit être rémunérée six fois moins que celle de l’Etat à l’encontre d’un contribuable.

Il s’agit là de la négation de l’objectif visé par la LPGIP, à savoir « l’équivalence entre les droits et obligations de l’Etat et les contribuables ».

Conclusion

Rien ne justifiait cette modification de la LPGIP moins de quatre ans après son entrée en vigueur sauf à en vouloir « plus des contribuables » et à leur en donner « moins ».

En outre, il sied de rappeler la problématique de la pluralité d’années fiscales à considérer en cas de taux d’intérêt différenciés: comment admettre qu’un contribuable, qui n’a pas été taxé pour l’année 2010 et qui a trop versé à l’Etat, se voit rémunérer son excédent à 0,5% alors que s’il a versé moins d’acomptes provisionnels pour sa taxation 2012, puisqu’il sait qu’il a une « avance » pour l’année 2010, se verra ponctionner 3% d’intérêt de retard.

Seul un relevé de compte unique pourra palier à ces différents problèmes, nonobstant qu’en tout état un taux d’intérêt différencié est une atteinte crasse aux intérêts et droits des contribuables décidée par nos édiles…

Publié le 8 avril 2013

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